Lovecraft en BD : Zoom sur 4 oeuvres (Chroniques du Maîtres 1/4)

Bonjour à tous, aujourd’hui n’est pas coutume ; on va parler de littérature, et plus précisément de BD. Et plus plus précisément de Howard Philips « Le Maître » Lovecraft, peut être mon auteur préféré, à travers 4 opus de BD assez différents. Ce sera le début d’une série d’articles sur Lovecraft qui vont venir au fur et à mesure 🙂

Lovecraft, inadaptable ?

“The oldest and strongest emotion of mankind is fear, and the oldest and strongest kind of fear is fear of the unknown”
― H.P. LovecraftSupernatural Horror in Literature

Je vais faire très rapidement une biographie et présentation de Lovecraft (que j’appellerai parfois HPL ou Le Maître ;). Je vous renvoie sur le bon article Wikipedia mais surtout sur l’excellente série de France Culture qui lui est dédiée .

Pour faire simple HPL est le pionnier de la littérature fantastique et horrifique du début du XX° siècle. Peu connu de son vivant, il a surtout publié dans des magazines « pulps » (publications bon marché dans lesquelles on retrouvait des récits d’aventures, fantastiques, etc). Son style se caractérise par une horreur cosmique et indescriptible, où l’homme n’est qu’un grain de poussière dans un univers peuplé de créatures cauchemardesques. En gros son écriture fait peur, très peur (je suis navré de résumer autant, mais n’hésitez pas à consulter mes sources si vous souhaitez en savoir plus).

Il a aussi une correspondance gargantuesque avec des milliers de lettres envoyées à travers tous les USA sur des sujets aussi variés que l’astronomie, la littérature, la politique, etc.

Son style, très axé sur la description de l’indescriptible et à l’échelle cosmique, rend difficile toute adaptation sur des médias visuels, car tout repose sur la suggestion, la montée dramatique et l’effet que produisent ces révélations. Il a aussi créé toute une cosmogonie avec des dieux, créatures et lieux qui reviennent en toile de fond de ses œuvres et de ceux de ses continuateurs, que l’on appelle souvent « Le Mythe de Cthulhu » ou juste « le mythe ».

En revanche, son empreinte stylistique se retrouve dans énormément d’œuvres, principalement dans des productions dites « de genre ». On peut citer notamment la saga Evil Dead et son Necronomicon, les jeux vidéos, la saga Amnesia notamment et bien d’autres.

Aujourd’hui, donc nous allons nous attaquer de BD, avec 4 œuvres :

Neonomicon : à deux doigts du carton rouge

La première BD que j’ai lue en rapport avec Lovecraft se présente comme une modernisation du mythe de nos jours. Plutôt alléchant au premier abord, surtout avec Alan Moore au scénario.

A mettre à son honneur : des dessins magnifiques de Jacen Burrows qui rendent bien l’univers proposé sans en faire trop. Mention spéciale aux hallucinations assez bien rendues, ainsi qu’à la composition des planches. La structure du scénario est aussi intéressante, respectant une structure connue chez Lovecraft : description d’un fait, fast forward sur l’enquête, et retour aux premier protagonistes avec de nouvelles relations.

Ensuite : le reste. Par où commencer ? Le premier personnage introduit, central par la suite, ressemble au Maître. Bon on apprécie le clin d’œil mais c’est un peu facile. Surtout que par la suite, à chaque page (sauf dans le dernier quart même si c’est présent) on nous assène des dizaines (parfois 10 par page ! ) de références à l’œuvre de HPL. C’est vraiment le niveau 0 de la référence, c’est comme si l’auteur vous disait « T’as vu, t’as vu, j’ai dit ça, et ça ! Je suis cool hein ?? » Non vraiment, c’est lourd. Aucun effort d’imagination à ce sujet, c’est presque un bingo du mythe.

L’intrigue est relativement basique, et je n’ai pas de problème avec ça. Elle mélange plusieurs œuvres de HPL de façon un peu bâtarde, donnant parfois une impression de fouillis et de manque de continuité.

Cependant, elle traîne des thématiques que je trouve hors sujet en plus d’être, dans la BD elle-même, inintéressantes. En effet, l’histoire tourne beaucoup autour du sexe, de la sexualité et du viol. Prenant pour prétexte les écrits de Lovecraft, qui regorgeraient de sous entendus sexuels, la BD s’en donne à cœur joie (à déconseiller aux âmes sensibles, l’ouvrage étant très explicite).

C’est pourtant oublier que HPL était lui-même un puritain (« le dernier des puritains » disait-il lui même) peu porté sur le sexe et même sur les relations hommes/femmes, son œuvre ne comportant quasi aucun personnage féminin. Mais dans l’absolu pourquoi pas, pour « moderniser le mythe », cela aurait pu être un moyen intéressant. Sauf que c’est fait de manière grossière, quasiment gratuite, trop explicite (suggérer est toujours mieux que montrer), et parfois inutile.

Difficile pour moi donc, de vous conseiller cette BD, mais si vous êtes un collectionneur, pourquoi pas. En revanche si vous cherchez à retrouver ce qui fait le sel du Mythe de Cthulhu, passez votre chemin.

Providence 1 – La peur qui rode : à un doigt du carton rouge

C’est l’une des raisons qui font que cet article a mis du temps à sortir. En effet, je possède la BD depuis un moment et j’ai voulu la relire avant de rédiger cet article.

J’avais un souvenir plutôt négatif de cette histoire, mais là je n’ai tout simplement pas pu la re-finir.

Avec la même équipe de Neonomicon derrière, je m’étais dit à la base qu’ils ne pouvaient que faire mieux. Spoiler : non.

Déjà, le héros qui reprend les traits de HPL. Pourquoi pas, m’enfin niveau imagination on repassera. Pourtant le début (j’entends par là les 5 premières pages) était plutôt bien : le héros est un journaliste dont l’écriture est proche de ce que Le Maître a pu écrire. Mais dès la 6ème page, on est déjà dans du sexe graveleux et explicite… Pour rien en plus. Même si le dessin en lui même reste tout aussi agréable que dans Neonomicon, c’est bien dommage.

Par la suite, l’intrigue se développe de façon confuse, car elle mélange plusieurs œuvres de HPL, de « La Peur qui rôde » jusqu’à « l’Abomination de Dunwich » en passant par « Horreur à Red Hook » et quelques autres. Ces récits aux styles différents et donc assez peu compatibles donnent une impression de fourre-tout désagréable.

Le héros tombe dans les bras du premier homme qui passe, sans plus d’explications que cela, juste parce qu’il est beau gosse (rappelons le, HPL était un puritain) ce qui le rend peu sympathique, car son attirance n’est que charnelle.

Enfin le récit est ponctué de pages du journal du héros… Qui ne fait que répéter ce qui a été montré dans le chapitre précédent. Ennuyeux.

Il y a eu des suites, que je n’ai pas lues encore, mais pourquoi pas, pour voir si le niveau remonte… Enfin, à part aux fans, je ne peux pas vous conseiller cette BD non plus.

Weird Detective : Là je dis oui !

Étrange … Voilà ce qui caractérise cette BD bien nommée. Je l’ai découverte au hasard du Bordeaux Geek Festival, sur le stand d’Akileos, en présence du dessinateur (merci à lui pour sa dédicace d’ailleurs !). Une BD, qui s’appelle Weird Detective (rappelant le magazine Weird Tales où Le Maître a été publié) et sous titrée « The stars are wrong » rappelant aussi une formule bien connue de HPL, ne pouvait que me plaire.

Le style graphique rappelle les comics pulps et fait bien honneur à son contenu. Le trait est agréable et les couleurs très belles.

Au niveau de l’histoire, on suit un détective étrange (ah bon ?), devenu d’un coup excellent investigateur alors qu’il était médiocre avant. Il semble disposer de facultés supérieures et d’un esprit unique pour résoudre ses enquêtes, il est appelé suite à une série de meurtres bien singuliers. Je n’en dévoilerai pas plus 🙂

Retenez simplement que l’histoire se passe dans un monde qui pourrait être celui d’HPL mais aujourd’hui. Les références au mythe sont explicites mais aucune à l’œuvre du Maître (l’exact opposé des deux précédentes BD). Les personnages y sont intéressants, l’action prenante et l’intrigue… intrigante.  Les touches d’humour sont tout à fait pertinentes (si vous avez la BD, je vous dirais juste « Il est canadien » 😉 ).

Excellent hommage, cette BD est un régal ! L’esprit de Lovecraft y est, sans le trahir ni trop en faire. Quelqu’un qui ne connaît pas Lovecraft pourra prendre plaisir à lire la BD, ce qui est plus compliqué pour Neonomicon et Providence.

Lovecraft par Ian Culbard : Carton plein

On parle d’un gros volume, toujours chez Akileos, un pavé comprenant 4 adaptations strictes de HPL par Ian Culbard. Au début circonspect concernant la possibilité d’adaptation littérale, surtout après avoir vu les premiers visuels dont le style me paraissait très « enfantin ». J’ai été surpris une fois l’ouvrage en main de me rendre compte que ça fonctionnait plutôt bien.

Comme il s’agit d’adaptations littérales je ne vais pas développer l’intrigue; simplement tout est respecté. Le style de dessin, qui m’effrayait au début, s’avère au final parfaitement adapté. Les scènes oniriques notamment font tout à fait honneur à l’œuvre originale. Peut être simplement dans les passages horrifiques, les créatures ne sont pas assez… horrifiques justement.

Je recommande donc à 100% cette BD qui ravira les fans du maître. Les néophytes trouveront une belle porte d’entrée vers l’univers d’HPL même s’il faut garder à l’esprit que ça peut être un peu « perché », notamment le cycle du rêve.

Au final ?

Comme quoi lorsqu’on a des critiques négatives à faire c’est toujours assez long, et beaucoup plus rapide lorsque c’est bien 🙂

Au début réticent, le média BD s’avère donc plutôt propice à l’adaptation de Lovecraft. Cependant le fait que de grands noms s’en mêlent n’est pas forcément un bon point, surtout quand il s’agit de mélanger plein de choses.

Gardons à l’esprit le concept de « keep it simple » aller au plus simple : une adaptation ou une œuvre qui se passe dans l’univers. Pas un gros gloubi-boulga de références et d’histoires qui n’ont rien à voir ensemble. Dans le cas des deux premières BDs, la modernisation du propos échoue car il ne suffit pas de dire « rajoute des fesses et des zizis ». Là où Weird Detective réussit bien mieux le pari en modernisant propos et univers. Enfin, l’adaptation stricte de Culbard est une réussite car elle sait saisir ce qui fait l’essence du travail de Lovecraft et le mettre en image.

J’ai ici fait un choix parmi 4 œuvres, n’hésitez pas à me dire en commentaire si vous avez d’autres exemples !
Bien entendu, ces avis ne sont que les miens 🙂

Je vous dis à très bientôt pour d’autres articles et la suite du Dossier de Maître !

Guillaume COEYMANS

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6 réflexions sur « Lovecraft en BD : Zoom sur 4 oeuvres (Chroniques du Maîtres 1/4) »

  1. Je ne suis pas le seul à ne pas du tout avoir aimé le Neonomicon de Moore à ce que je vois.
    Ca a été une telle déception que je n’ai même pas pris la peine d’essayer Providence.
    Dans Neonomicon , le Dagon de Moore m’a plus fait penser à « La créature du lagon noir » en mode obsédé sexuel qu’au Dagon de Lovecraft.Un ratage complet à mes yeux.
    Sinon chez l’éditeur « Actes Sud » , il y a l’album « L’invisible et autres contes fantastiques » qui même si il n’est pas parfait respecte plus l’oeuvre de HPL que ne le fait Moore.

  2. Sympa les recommandations ! 😉
    De mon côté, je peux te recommander Les cauchemars de lovecraft de Horacio Lalia, un ouvrage de 18 nouvelles de lovecraft (à priori c’est fidèle) tout en noir et blanc donc assez angoissant je trouve 😉 Après c’est le désavantage d’avoir plusieurs nouvelles : yen a des mieux que d’autres… Mais bon vraiment pas mal cette ouvrage !
    Je crois que je vais me laisser tenter par Ian Culbard :p

  3. Sans être directement reliés au mythe de Cthulhu, les 2 premiers volumes de « Xoco » de Thomas MOSDI (scénario) et d’Olivier LEDROIT (dessins), parus chez Vent d’Ouest, ont une ambiance très lovecraftienne. A (re)découvrir.

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