Pourquoi vous ne ferez jamais peur à vos joueurs pendant un JDR :

JDR fear

Cet article m’est venu suite à mon expérience de MJ dans des JDR « d’horreur » mais aussi suite à la lecture d’articles de l’excellent Johan Scipion (auteur du tout aussi bon Sombre) sur la peur dans le JDR. Je vais essayer d’apporter ma vision de la peur dans le jeu. Enjoy ! 

Aux origines de la peur :

“The oldest and strongest emotion of mankind is fear, and the oldest and strongest kind of fear is fear of the unknown” H.P. Lovecraft

La peur est une des émotions fondamentales de l’humain, à l’instar de la joie, la colère et la tristesse. Elles sont, de mon point de vue, les plus « brutes » et les moins nuancées, mais aussi les plus fortes.

La peur est une réaction de survie permettant à un animal de sauvegarder son intégrité physique ainsi que celle de sa progéniture. Biologiquement, elle se traduit par une activation de l’amygdale. Cette émotion instinctive et incontrôlable est très ancienne dans le règne animal et est un des facteurs qui nous a permis d’évoluer jusqu’à ce que nous sommes de nos jours.

Elle est parfois associée à une sensation de mort imminente (un bruit terrible à quelques centimètres de vous risque probablement d’être un danger mortel). La peur peut être aussi plus violente et plus profonde : c’est la « terreur », le stade au dessus qui peut paralyser un individu et l’empêcher d’agir. Il n’y a qu’à voir l’incroyable cas des « terreurs noctures »  pour comprendre la terrible brutalité de cette émotion.

De nos jours, il y a plusieurs choses que l’on regroupe sous le terme « peur », notamment la mode des films à « jumpscares » les films d’épouvantes, les « creepy pastas » etc.

Cf la vidéo du Fossoyeur de Film focalisée sur le cinéma, mais qui explique bien ce que je veux dire.

Il y a donc plusieurs « peurs » différentes. Personnellement, j’en dégage deux : la peur immédiate et la peur viscérale, ce que je vais développer juste ici :

La peur immédiate

C’est le sursaut, le jumpscare, cette porte qui claque dans le silence. Celle-ci est immédiate, notre réaction tient du réflexe, on sursaute, on crie ou toute autre réaction épidermique. C’est aussi, pour moi, l’instant de peur fugace qu’on ressent lorsqu’on attend un coup de fil important, cette sensation qui monte et qui se dissipe une fois l’appel pris.

C’est là qu’on voit aussi les réactions « combat-fuite » des individus : lors de ce micro-instant où le corps choisi de fuir ou de se battre, on peut voir ceux qui vont sauter sur le tueur au masque et ceux qui vont courir vers la porte.

Ce type de peur est réalisable en JDR via des effets de manche, en claquant un livre ou avec un complice qui surprend un joueur d’un coup. Mais elle est principalement source de stress et d’inconfort plus qu’un élément de jeu. Nous en reparlerons plus loin.

La peur viscérale

Fear
Ne me dites pas que vous marcheriez pas un peu trop vite dans un couloir comme ça 😉

C’est celle qui prend aux tripes, celle qui dure dans le temps. Mieux encore, c’est celle qui vous renvoie à vos angoisses profondes et enfantines. C’est cette sensation que quelque chose va vous saisir la jambe dans la nuit noire, celle qui vous fait monter les escaliers de la cave un peu plus vite qu’il ne faudrait.

Cela peut aussi être l’état d’angoisse irrationnelle d’un phobique face à sa phobie, ou simplement à l’évocation de l’objet de la phobie. L’exemple de cette peur que je préfère (enfin, que je trouve le plus intéressant hein) est celui de la peur diffuse, constante, comme un danger permanent qui guette dans l’ombre.

Demandez aux personnes qui ont vécu le siège d’une ville, lisez le témoignage d’ex-otages, c’est la peur permanente qu’ils décrivent qui est cette peur viscérale et omniprésente.

La peur en JDR :

La peur n’existe pas en JDR

Voilà, tout est dit merci de m’avoir lu et à bientôt !

Hum, soyons plus précis : à part faire sursauter les joueurs avec des effets hors-jeu (voir plus haut), vous ne ferez jamais ressentir une peur viscérale à vos joueurs. J’ai envie de dire, « encore heureux » ! Car le but est encore de jouer et de passer un bon moment ensemble, pas d’avoir peur pour sa vie. Il est donc contre-productif de chercher à faire peur à ses joueurs pour le simple bon déroulement du jeu.

Je reprend donc plutôt le concept de Johan Scipion, c’est à dire qu’on fera ressentir une « tension horrifique » plutôt qu’une peur. Les joueurs doivent être conscients que ce qu’il y a derrière la porte close est un réel danger pouvant menacer l’intégrité physique et mentale de leur personnage.

Car oui, ce n’est pas les joueurs qui auront peur, mais bel et bien leurs avatars. Il faut donc être en capacité de transmettre cette tension du personnage vers les joueurs afin que ceux-ci vivent pleinement le moment de peur que vous faites vivre aux personnages.

Comment faire sentir cette tension aux joueurs ?

Pour cela plusieurs moyens et mécaniques différentes :

Les personnages : vecteurs d’émotions

C’est pour moi l’un des éléments majeurs pour créer une vraie tension et de vraies sensations de jeu. L’une des solutions pour cela est de passer par une vraie séance de création de personnages (nous reviendrons juste après sur le cas des personnages pré-tirés). Il ne faut pas négliger cette étape, et guider vos joueurs vers des personnages dans lesquels ils peuvent se projeter. L’idée n’est pas d’avoir des personnages clones des joueurs mais des personnages investis par ceux-ci.

Plus les joueurs se seront attachés à leurs personnages en les créant, plus les émotions se transféreront de l’un à l’autre. Lorsque vous avez passé une heure à créer et densifier votre personnage, vous réfléchirez un peu avant d’ouvrir cette porte derrière laquelle d’étranges grattements se font entendre.

Le cas des pré-tirés : Dans ce cas, c’est le rôle du MJ de créer des personnages suffisamment épais pour permettre une identification, mais suffisamment larges pour que n’importe qui puisse s’y projeter. Pour cela, le mieux est de pouvoir écrire une partie « personnelle » du joueur, sa façon de penser, son ressenti, etc.

Le MJ, maître de l’horreur :

C’est effectivement au MJ d’être en mesure de créer une situation de tension horrifique. Cela passe par une bonne mise en situation et un certain talent de storytelling, d’être capable de bien raconter une histoire. Pour cela, pas de mystère, il faut recourir  à des artifices classiques : musique, ambiance lumineuse, calme et silence.

Il est nécessaire aussi d’avoir pu préparer ses effets et de doser dans le bon timing les bons éléments. C’est pour ça qu’il est important d’être en capacité de diriger les joueurs et de faire de belles descriptions. En effet, pour moi, la tension horrifique dans un jeu est quasiment incompatible avec un jeu très ouvert. Il faut être conscient de cette limite, qui n’est pas « imposer le jeu aux joueurs » mais poser un cadre strict pour créer la tension. Par exemple, dans une maison hantée, personne ne doit être autorisé à avoir des grenades à main sauf cas très particulier, c’est au MJ d’imposer cela. Tout comme imposer le huis clos. Où irait le scénario si les PJ, voyant la maison hantée, se disent « bon bah on va au Formule 1 en fait hein » et que le MJ laisse faire ?

Une bonne technique pour éviter pas mal d’écueils du genre est de faire un démarrage de scénario « In medias res » (littéralement « au milieu des choses »), c’est à dire de lancer directement l’histoire au milieu de celle-ci. Au lieu de « le mystérieux vieillard vous indique le cimetière que vous devez nettoyer, que faites vous ? » partez plutôt sur « Vous êtes dans un vieux cimetière, un commanditaire vous a envoyé ici pour nettoyer le lieu ».

Les joueurs, clés de l’horreur :

Si le MJ est l’architecte de l’horreur, les Joueurs en sont les briques élémentaires. En tant que joueur, il faut savoir « rentrer » dans l’univers projeté par le MJ et s’impliquer dans la situation.

Il est important pour cela que vous vous soyez impliqué dans votre personnage, comme vu auparavant, mais n’hésitez pas à broder votre personnage en cours de partie, à lui inventer histoire et anecdotes pour lui donner de l’épaisseur.

Impliquez vous aussi dans l’horreur et limitez le hors-RP pour être le plus en phase avec l’histoire qui vous est proposée.

Boite à outils :

Voici quelques ficelles que j’utilise pour faire « peur » à mes joueurs. Il n’y a rien de spécialement original ni d’incroyable mais je pense que le partage d’astuces est utile à tous !

Le coup de semonce :

Délicat à utiliser car il peut « chafouiner » les joueurs. Il s’agit de poser brutalement que nous sommes dans une situation dangereuse, où les joueurs peuvent mourir. Ici, ils ne sont pas les boss, pas des héros, pas des niveaux 50 prêts à dézinguer du gnoll.

Typiquement, il s’agit de poser une confrontation (ennemi, piège, etc) dans laquelle les joueurs vont être sérieusement blessés et où le risque de mort du personnage est réel. Le mieux est de placer la confrontation dès le début de la partie pour poser le contexte.

Quand je dis que cela peut gêner les joueurs, c’est que certains n’aiment pas se sentir faibles, ou n’ont pas l’habitude de ce type de danger. Pour la petite histoire, je me rappelle d’une partie de D&D (3,5) où j’étais joueur. Nous explorions un donjon, et d’un coup, le guerrier décide de se mettre à sprinter dans les couloirs. Devant nos airs surpris, le MJ demande « es-tu sûr ? » « Oui » répondit-il. Arriva ce qu’il devait arriver, un piège se déclenche, tuant le personnage, sans possibilité de sauvegarde. En effet, le donjon est une belle situation de tension et la punition immédiate a fait réfléchir les joueurs pour la suite. Par contre, le guerrier a boudé tout du long de la partie. C’est compréhensible et indique bien que le coup de semonce doit être bien dosé et bien ciblé.

La rupture de ton :

Compliquée à mettre en place mais à l’efficacité redoutable, il s’agit ici de ne pas indiquer aux joueurs qu’ils jouent à un jeu spécialement horrifique, de lancer le scénario tranquillement et de faire surgir l’horreur brutalement au sein du scénario.

La rupture de ton demande un gros travail d’écriture pour préparer la rupture mais si celle-ci s’opère bien, le choc peut être réel pour les joueurs et lancer un scénario mémorable.

La bascule

Petite sœur de la rupture de ton, la « bascule » fait, comme son nom l’indique, basculer le scénario dans l’horreur. Il s’agit de créer un moment, un instant ou un scénario ordinaire bascule dans l’horreur.

C’est typiquement le cas dans des Slashers, c’est le moment ou les rednecks cannibales consanguins font leur première victime, ou le tueur frappe pour la première fois, rompant la quiétude et l’insouciance des personnages.

Contrairement à la rupture de ton, la bascule est plus directe et plus « actionnelle ». La rupture de ton est plutôt dans l’ambiance, dans le style de jeu, là ou la bascule est un événement précis.

 Le désamorçage :

J’aime bien celui-là, c’est un classique mais il fait toujours son effet. Il s’agit de faire monter la tension autour d’un élément focus, une porte, un coffre quelque chose comme ça. Il faut appuyer sur cet objet pour faire en sorte que toute l’attention des joueurs soit concentrée sur cet élément, cette boite dont un diable va forcément sortir. Mais au final, c’est le pétard mouillé, juste un rat qui passait par là, un courant d’air… Bref, pas grand chose. Si vous le faites bien, vos joueurs vont pousser un soupir de soulagement, voire un rire nerveux. Idéal pour placer l’effet suivant :

Le contre-pied :

C’est au delà de la surprise que se place cet effet. C’est prendre les joueurs au moment où il s’y attendent le moins, où ils sont sûrs d’être en sécurité. Par exemple, au moment où ils sont sûrs que ce n’était qu’un rat, faire surgir le vrai danger.

Un effet que j’avais fait passer (dans une partie de l’Appel de Cthulhu) et qui avait bien fonctionné : les joueurs ont élaboré un plan solide pour assassiner un grand méchant en Égypte (ils ignoraient qu’il était mage). Arrivés dans son dos, en pleine nuit, alors qu’il était dans son bureau, ils sont parfaitement sûrs de leur coup. Au moment de frapper, le bouclier magique du boss s’est activé, les joueurs, surpris, n’ont su que faire. Double effet kiss cool, son chat était un démon garde du corps.

On a dans ce cas, une bascule ainsi qu’un contre-pied, ce qui s’est avéré dévastateur.

Voilà pour cet article au sujet de la peur. Il n’est pas complet bien entendu et ne représente que mon avis ! N’hésitez pas à mettre en commentaire vos astuces et votre réflexion sur la peur en JDR !

Guillaume COEYMANS.

 

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10 réflexions sur « Pourquoi vous ne ferez jamais peur à vos joueurs pendant un JDR : »

  1. Réflexions intéressantes, en effet on parle plus de « tension horrifique » que de peur réelle. Pour ça, Sombre est idéal vu la mortalité des personnages.
    Ma spécialité à ce niveau est de jouer des survival à tambour battant en 1h30 maximum. Bien sûr on n’est pas ici dans de l’interprétation horrifique, plutôt de l’action horrifique. Mais ça fonctionne diablement bien à mesure que s’égraine le nombre des morts.

  2. Très intéressant ton article !

    Pour que ces « trucs » fonctionnent, je pense qu’avoir des joueurs « adultes » et motivés qui ne perturbent pas l’ambiance que le MJ essaye d’installer est plus important que d’avoir un BG bien travaillé et un attachement au personnage (selon moi).

    On pourrait ajouter une autre technique générale qui consiste à retarder les apparitions « gores » le plus possible, en lâchant des signes avant-coureurs, par petites touches, de façon à faire fonctionner l’imagination des joueurs, et jouer sur la peur de l’inconnu (comme le dit H.P.L.).
    Ainsi, plutôt que : « Tu ouvres la porte et tu vois un cadavre au sol. », on commencera par des traces de sang qui mènent à la porte, puis sur la poignée, puis la porte qui est légèrement entrouverte, l’odeur écœurante qui semble en émaner, etc.

    Après il y a aussi une sorte de peur psychologique, par exemple quand les PJ comprennent, au détour d’une phrase anodine, que le PNJ en qui ils ont confiance depuis le début, est en fait un psychopathe 🙂 .

    Vraiment effrayer mes joueurs, ça m’est arrivé quelques fois seulement (ça se voit dans leurs yeux 🙂 ), mais quel plaisir ! (pour eux aussi). Mais pas facile à reproduire à chaque fois… surtout que la liberté d’action des joueurs nous empêche de faire des mises en scènes millimétrées comme au cinéma.
    J’en viens donc à me dire qu’il faudrait plutôt des scénarios extrêmement scriptés, du moins pour les scènes horrifiques, qui seraient préparées avec précision en termes de descriptions, musiques d’ambiances, et autres artifices. Qu’en penses-tu ?

    1. Effectivement on peut effrayer les joueurs ponctuellement, l’article est volontairement un peu provoc’ (gentiment) 😉
      Je suis assez d’accord pour le fait de scripter beaucoup sa partie, quitte à sacrifier la liberté ponctuellement. Pour les scènes d’horreur oui, je pense sincèrement qu’il faut les mettre en scène, au sens presque théâtral/cinématographique pour un maximum d’effets, par expérience, les joueurs jouent le jeu, surtout si la mise en scène est bien fichue 🙂

      Scripter tout le scénario et en faire un couloir ça peut être problématique, autant prendre un Livre Dont Vous Êtes Le Héros 😉 mais clairement il faut pas laisser les joueurs faire n’importe quoi, principalement lorsqu’il est question d’horreur !

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